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dimanche, février 23, 2014

Comprendre la seconde révolution ukrainienne à travers le prisme de son histoire culturelle et politique

L'Ukraine semble être un personnage sorti de l'Antiquité romaine, sous les traits de la divinité Janus, le dieu aux deux visages et cela renforce le mystère ukrainien.
L'Ukraine est-elle simplement ukranophone ou totalement russifiée? L'Ukraine est-elle divisée en deux, tels deux blocs où elle-est unie au-delà de tous les périples? Se sent-elle proche de la Russie et des Russes ou est-elle foncièrement nationaliste?
Un simple oui ou non, une vision en noir et blanc ne saurait décrire la complexité du troisième pays de l'ex-URSS après la Russie et le Kazakhstan.

En premier lieu, pour répondre aux questions qui introduisent cet article et que tous les commentateurs se posent quand on aborde la question ukrainienne, on peut dire que l'Ukraine est majoritairement ukranophone (65% de la population), même à l'est mais que le taux de bilinguisme usuel dans la vie de tous les jours est l'un des plus élevés dans un même et seul pays. En 1991, au sortir de l'URSS, 54% des Ukrainiens (dont 83% sont de nationalité ethnique ukrainienne) apprenaient le russe comme 1ère langue d'étude et même si ce chiffre a baissé à 23,9% en 2004, il n'en demeure pas moins qu'avec le sourjik, langue populaire mélangeant le russe et l'ukrainien, en plus d'un bilinguisme classique ukrainien/russe, on estime que le taux de bilinguisme monte jusqu'à atteindre la moitié de la population.
Même dans les grandes villes de l'ouest nationaliste ukrainien de Galicie et de la Podolie, on utilise autant le russe que l'ukrainien. L'ukrainien n'était pas réellement reconnu comme langue au XIX° siècle parce que c'était un instrument d'un potentiel nationalisme ukrainien, quand le deuxième grand poète ukranophone Tarass Chevtchenko (après Ivan Kotliarevski, à la fin du XVIII° siècle) écrit le poème "Le Fils" en 1847, il critique à la fois le panslavisme et la personne du tsar Nicolas Ier, il est arrêté et exilé dans les montagnes de l'Oural. Il faut attendre le recensement de 1897 pour que l'on parle pour la première fois de nationalité "ukrainienne". La politique était à la russification pendant le tsarisme.
Avec la Révolution d'Octobre 1917 et la Loi des Nationalités en janvier 1918 (donnant des droits aux ethnies autres que russe slave en Russie) va changer un peu la donne, une politique d'ukranisation est officiellement proclamée, mais à laquelle, il sera mis un terme par Staline en 1932, parce qu'il craignait la montée du nationalisme ukrainien antirusse. De 1932 à 1933, Staline va d'ailleurs organiser la Grande Famine du Holomodor qui est un mot-valise en ukrainien qui signifie "extermination par la faim", parce que les koulaks (paysans) ukrainiens refusaient en masse la collectivisation par les kolkhozes (coopératives tenues par les sections locales du Parti Communiste) et les sovkohzes (fermes d'Etat). Famine organisée qui va causer la mort de 2,4 millions de morts à 7,5 millions de personnes. Ceci est un épisode tragique mis en exergue par la diaspora ukrainienne qui était foncièrement antisoviétique.
L'ukrainien était tout de même la seule langue officielle de la République Socialiste Soviétique d'Ukraine, mais de facto le russe était la seconde langue et la langue de relation avec le Comité Central du Parti Communiste d'Union Soviétique (PCUS). En 1991, 90,5% des Ukrainiens votent pour l'indépendance dont une très forte majorité d'Ukrainiens de nationalité ethnique russe (17%) et en 2003, un sondage montrait que 75% des Russes et Ukrainiens russophones d'Ukraine (25% de l'ethnie ukrainienne) estimaient que l'Ukraine était leur patrie. Donc l'Ukraine n'est pas réellement divisée en deux blocs, même si en 2003-2004 , les Ukrainiens russophones et Russes d'Ukraine ont voté massivement pour Viktor Ianoukovitch , de même en 2010, tandis que le centre et l'ouest votait pour Viktor Iouchtchenko en 2003-2004 et pour Ioulia Timochenko en 2010 (voire Vitali Klitchko).

Comment doit-on percevoir cette partition politique? En réalité, les Ukrainiens russophones et les Russes d'Ukraine souhaitent maintenir un lien économique avec la Russie, car l'est du pays a davantage gardé des vieilles usines venant des combinats industriels de l'ex-URSS et qui sont "perfusées" par le "grand frère russe", ou bien à Odessa et en Crimée (à majorité russe ethnique), la présence des soldats russes amènent un certain nombre de dividendes à ces régions. Donc se couper de la Russie, c'est se couper en bonne partie de ce partenaire vu comme généreux. Sans compter la menace russe de couper le gaz, ressource énergétique principale pour le chauffage, alors qu'à l'indépendance, l'Ukraine possédait de vieilles centrales nucléaires non réellement sécurisées de type Tchernobyl, que la communauté internationale a poussé à démanteler.

En août 2013 quand Viktor Ianoukovitch a annoncé publiquement qu'il allait signer l'accord de partenariat (et non d'adhésion) avec l'Union Européenne, il a été plébiscité par la grande majorité des Ukrainiens, car les Ukrainiens constatent bien la nécessité de diversification des partenariats et de ne plus dépendre du seul "grand frère russe", qui a tout de même coupé le gaz en 2009 en accusant les Ukrainiens de priver les Bulgares et les Slovaques de chauffage! La virevolte du président Ianoukovitch en novembre 2013 a provoqué l'ire d'une partie des Ukrainiens dont notamment les Kiéviens, car il n'a pas tenu sa parole et comme beaucoup d'autres personnalités de la classe politique ukrainienne, il était mêlé à des affaires ou des soupçons de corruption et a en définitive signé son départ de la vie politique, quand la Rada (Parlement) ukrainienne a voté le 22 février la destitution du président Ianoukovitch, par sa propre majorité (Parti des Régions + les partisans de Ioulia Timochenko et Vitali Klitchko). On ne peut dire ce que sera l'Ukraine demain, si elle va maintenir son cap d'indépendance et de relations équilibrées entre Russie et Union Européenne ou si la seconde révolution ukrainienne (après la Révolution Orange de 2004) va échouer. L'avenir est dans les mains des Ukrainiens.

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