A PROPOS

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dimanche, janvier 26, 2014

Plaidoyer pour les langues d'Oïl et l'arpitan














(DRAPEAU DU BERRY, ancienne province qui avait comme langue traditionnelle, une des langues d'Oïl, le berrichon)


                                 (SYMBOLE ARPITAN: L'EDELWEISS A 6 PETALES)

Dans le cadre de la discussion à l'Assemblée Nationale sur le proposition de loi de Jean-Jacques Urvoas n° 1618 visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (cf. l'article- "Charte européenne des langues régionales et minoritaires: arrêtons avec le catastrophisme!!"- : http://lunettesdumonde.blogspot.fr/2014/01/charte-europeenne-des-langues.html 
, je voulais aborder un point qui ne l'est pas souvent à savoir, "quid de l'espace entre les langues régionales particularistes de la métropole?" (qui ne concerne donc ni le alsacien-mosellan, basque, breton, catalan, corse, flamand, langues d'Oc), donc ce qu'on appelait avant les "parlers" ou les "dialectes" et pour la région rhônalpine essentiellement, le franco-provencal.

Les langues d'Oïl
Les langues d'Oïl sont les langues qui sont nées, suite à la disparition du vieux roman (entre 800 et 1000 environ), première autre langue que la langue latine en France, après la chute de Rome et l'installation du royaume franc. Ce ne sont pas des dialectes du français, mais des dialectes du vieux roman, or comme le vieux roman a disparu, il s'agit bien de langues.
Qui plus est, Bernard Cerquiglini insiste bien dans son rapport demandé à Lionel Jospin en 1999, pour la signature de la "Charte européenne des langues régionales ou minoritaires", sur le fait que dorénavant, la morphologie linguistique (la forme de la langue) et le lexique étant différents à l'oreille, il s'agissait bien de langues.
Bernard Cerquiglini entérine donc l'idée qu'une langue essentiellement orale se différencie par le son, la forme, les mots, le fait que la compréhension ne soit pas transparente à quelqu'un qui ne parle pas cette langue. C'est ainsi que le sociologues, ethnologues et linguistes ont démontré que la littérature (donc ici, la capacité de produire et transmettre des histoires) pouvait être orale.
Une langue n'a donc pas besoin d'être l'émanation d'un Etat/pays pour être (la langue comme idiome) ou bien d'un peuple clairement défini ayant vocation ou non à devenir par le futur, autonome voire indépendant.
Ces langues ont perduré jusqu'ici mais sont bien mal en point et sont très souvent reléguées pour la plupart d'entre-elles, au musée comme "patois" (terme devenu péjoratif assez souvent, parce que ces langues n'étaient pas vues comme "légitimes" ou de "vraies langues")  ou au mieux "dialectes".
Selon le rapport demandé en 2013 par le ministre de l'Education nationale, Vincent Peillon, il n'y aurait plus que 580.000 personnes qui parleraient régulièrement ces langues, essentiellement des personnes âgées, soit seulement 0,87% de la population française, tandis que si l'on ajoute à ces personnes ceux qui l'utilisent occasionnellement, soit 150.000 donc 730.000 personnes en tout, l'on atteint 1,10% de la population française (66 millions).

Les langues d'Oïl ont été très vivaces dans les campagnes, jusqu'au cours du XIX° siècle et même du début du XX° siècle, il a fallu attendre longtemps les effets de la loi du Décret du 30 Vendémiaire, an II (17 novembre 1794) stipulant que "dans toutes les parties de la République, l'instruction ne se fait qu'en langue française", les langues d'Oïl ont bien résisté dans les campagnes,comme langues familiales et des conversations informelles jusque dans les années 50-60 du XX° siècle (au moins jusque dans les années 20 comme langue maternelle et années 50-60 comme langue occasionnelle). La modernité, la télévision, les discours négatifs sur les "patois" qui tirent leur source de l'Abbé Grégoire qui estimait que "la réaction parlait bas-breton" (1794) et du premier décret révolutionnaire de francisation qui voulait pourchasser les langues autres que le français et qui instituait la "Terreur linguistique": le décret du 2 Thermidor, An II (20 juillet 1794).

Comme dans les zones de langues particularistes, les locuteurs des langues d'Oïl et de l'arpitan ont connu les brimades et le fameux bonnet d'âne, les coups de bâton, les disputes des professeurs à l'école parce que c'était interdit de parler "patois".
Certainement qu'il a fallu passer par l'unification, le fait d'insister de parler français, mais cela aurait pu se produire en épargnant aux élèves les remarques dégradantes, les châtiments corporels et par une République généreuse dans son désir d'unité: en instituant une heure de langue locale par semaine (voire deux), afin de patrimonialiser, pour le moins, les langues de France.

Les langues d'Oïl en France, autres que le français, sont: l'angevin (ainsi que le mayennais et le sarthois), le berrichon, le bourbonnais, le bourguignon-morvandiau, le briard-percheron, le champenois (ainsi que l'ardennais), le franc-comtois, le gallo, le lorrain, le normand, l'orléanais, le picard (dont le wallo-picard au sud: Amiens, Saint-Quentin) et le chti (Nord-Pas-De-Calais)), le poitevin-saintongeais et le tourangeau.

Zoom sur la langue berrichonne
Le berrichon est la langue d'Oïl située au centre géographique de la France, zone qui regroupe historiquement une partie du Bourbonnais (le sud du Cher actuel), parce que les habitants se reconnaissent comme "berrichons" depuis la Révolution française: dans les départements du Cher et de l'Indre. Il est vrai que la zone de Saint-Amand-Montrond (Saint-Amand-Montrond, Sancoins) sont historiquement liés à la zone bourbonnophone (langue bourbonnaise), mais la proximité des deux langues et la nouveau découpage départemental d'alors, en 1790, ont transformé les habitants du sud du Cher en berrichons. On constate la même chose à Culan, qui se trouve traditionnellement dans le Croissant (Crescent) occitan du Bourbonnais, mais qui se trouve désormais rattaché à la tradition berrichonne, ce d'autant que les traditions, costumes (la berribiaude bleue et le foulard rouge pour les hommes avec le légendaire "chapiau" noir à grands bords et la grande robe à tablier avec une coiffe ronde de dentelle pour les femmes), coutumes, danses (la fameuse bourrée berrichonne à quatre temps, au son de la vieille), gastronomie (pâté à la viande, pâté aux patates,..).
Le berrichon post-1790, s'il l'on peut dire (!) est donc, y compris dans la partie de la Champagne Berrichonne (Bourges, Issoudun) et la Sologne berrichonne (Vierzon), mais bien-sûr de manière un peu plus marquée dans le Sud-Cher, une langue de transition entre l'oïl et l'oc (tout comme le bourbonnais), un entre-deux en somme.
Du temps des Gaulois, le peuple biturige cube dominait les actuels départements du Cher et de l'Allier , y compris Sancoins (Tincontium). Ensuite le Berry fut la première province de France a être rattachée au domaine royal en 1101, le vicomte de Bourges Eudes Ier, cédant son vicomté (allant jusqu'au nord inclus du département de l'Allier, donc Sancoins y était), pour aller dans les ordres.
Donc vers les années 800/850, le parler roman du Berry a commencé à se séparer du latin du Haut-Moyen-Age. On sait qu'au XIII° siècle, Macé de la Charité, un moine de Sancoins traduit la Bible en langue d'Oïl. Le Berry connait ses "Riches Heures" sous l'apanage du duc Jean de Berry (duc de 1360 à 1416, possédant les actuels Cher, Indre, Allier, le reste de l'Auvergne historique et le Limousin), prince royal, frère du roi Charles V, tandis qu'au XV° siècle, le théâtre oral des Mystères (liés à la religion chrétienne) se produit en langue d'Oïl, à Bourges.
Il faut attendre les oeuvres et travaux de George Sand (romans champêtres comme "François le Champi"-"champi" voulant dire enfant travaillant aux champs en berrichon), Henri Lemeuthe qui rassemble au XIX° siècle des poèmes ruraux du Berry, Jean Tissier qui produit en 1884 son "Dictionnaire berrichon", ainsi que le sancoinais (alors que théoriquement locuteur de bourbonnais) Hugues Lapaire qui rédige son "Glossaire berrichon" en 1925.
Plus récemment, les linguistes Pierrette Dubuisson et et Marcel Bonnin ont sorti en 1993, le "Dictionnaire du français régional du Berry-Bourbonnais" et le journaliste issoldunois Pierre-Valentin Berthier a publié en 1996 le "Glossaire de la Champagne berrichonne". On dit que le berrichon n'a pas de grammaire, mais toute langue a premièrement une structure inhérente à elle-même et deuxièmement, le bourbonnais possède une grammaire, il est bien évident que ces deux langues partagent, à peu de choses près, une grammaire commune.
Je vais me permettre un néologisme, je suis un fier français et européen, mais également un fier berrichonnant.

L'arpitan
L'arpitan est une langue, mais les parlers ne sont pas unifiés, on peut donc parler également de "langues arpitanes", cependant les linguistes et les locuteurs ayant progressivement changé le nom de cette langue, autrefois appelée "franco-provencal", sont assez satisfaits de promouvoir le terme tel quel dans sa globalité. Le terme arpitan a été crée dans les années 70 parce que "franco-provencal" pourrait paraître réducteur, sous l'influence du terme "occitan", l'arpitan vient de la racine "arpa" qui donné le mot "Alpes" et qui désigne la langue des montagnes. L'arpitan est parlé en Rhône-Alpes nord (Loire, Rhône, Ain, extrême nord de l'Ardèche et de la Drôme, nord de l'Isère dont Grenoble, les deux Savoies, la région de Macon, de Louhans, le sud de la Franche-Comté, mais aussi presque toute la Suisse romande, sauf le canton du Jura, le Val d'Aoste en Italie et des vallées piémontaises dans la région de Suse, mais aussi par le biais d'une migration italo-arpitane au XIV° siècle dans les Pouilles (à 1500 kms au sud de l'Italie) dans les communes de Faète et Celles de Saint-Vit(!).
L'arpitan est né parce que vers l'an  880, le royaume de Bourgogne est crée correspondant à la Bourgogne, la plus grande partie de Rhône-Alpes, la Suisse romande et la Savoie. Ensuite peu à peu la Suisse romande s'est libérée peu à peu du duc de Savoie pour rejoindre les cantons suisses allemands de la fin du XV° siècle au début du XVI° siècle, l'Ain actuel a longtemps été possédée par la Savoie (rattaché à la France, seulement en 1601) et l'archevêché de Lyon n'a été rattaché à la France qu'en 1307. Le Forez (correspondant à la Loire) a été rattaché à la France, bien plus tôt au XII° siècle.
Bien évidemment le duché de Savoie n'a été rattaché à la France qu'en 1860. C'est d'ailleurs en Savoie que la langue arpitane est demeurée la plus vivante.
Dans la plupart des zones arpitanes, la langue est en recul fort, liées aux mêmes causes que pour les langues d'oïl: uniformisation, modernité qui fait que les Valdôtains, Suisses romands et Français arpitanisants se mettent à parler en priorité les langues officielles nationales: italien et français (même le français est en recul au Val d'Aoste, mais à une moindre mesure, comme langue seconde apprise à l'école). Le rapport demandé par Vincent Peillon, montre que seuls 80.000 locuteurs français utilisent régulièrement l'arpitan, soit ... 0,0001% , à cela s'ajoute 50.000 locuteurs occasionnels, donc en tout 130.000 arpitanisants, ce qui correspond à  0,19% de la population française.

Un plaidoyer pour la diversité et la richesse linguistique et culturelle
Ces langues, selon l'UNESCO sont sévèrement en danger et les voir disparaître serait une perte énorme pour la richesse culturelle de la France.
Il est temps de réagir, de constater, que non il n'y a pas que le français , là où sont les langues d'Oïl et l'arpitan mais bien un certain nombre de langues, en plus du français. Encore plus que pour l'alsacien, le basque ou le breton, il ne s'agit bien évidemment pas de revenir à une chimère romantique de monolinguisme d'Oïl et d'arpitan mais à donner la possibilité à ceux qui le souhaitent de rester ou devenir bilingues français/langues d'Oïl ou arpitan, tout au moins d'avoir une bonne connaissance et une conscience culturelle de son identité française par le local dont la langue régionale.
Il est bien clair que cette démarche ne vise qu'à mettre fin à l'injustice de l'ignorance de l'existence de dizaines de langues et non la recherche d'un quelconque séparatisme qui serait plus que vain.
Il est vrai, qu'heureusement la survivance des expressions régionales a permis de prendre conscience qu'il existe bel et bien des langues, des parlers originaux, différents et en complément du français dit "académique" ou "classique" dans nos vies! Ce sont des trésors cachés de chaque instant, légués par nos grands-parents ainsi que nos parents. Comme un rayon de soleil individuel dans une masse informe, celle de la société de consommation. Autrefois cela nous faisait rire, parce que nous en avions horreur, nous ne voulions point revenir à la vie paysanne de nos grands-parents, désormais, nous savons que c'est un marqueur familial précieux.

En 1990, la Communauté française de Belgique reconnait le brabançon, le champenois, le lorrain, le luxembourgeois, le picard et le wallon comme langues régionales endogènes de la Communauté française de Belgique. En 2004 la région Bretagne a reconnu comme langues de Bretagne le breton et le gallo et en 2009, la région Rhône-Alpes a reconnu l'arpitan et l'occitan comme langues de Rhône-Alpes, le conseil régional soutient d'ailleurs le site Arpitania.eu.

Il ne serait pas possible que la République reconnaisse le mosellan, le corse ou les créoles et délaisse les langues d'Oïl et l'arpitan, comme des êtres tombant sans fin dans un précipice et dont la chute sera rude. Nous, locuteurs réguliers ou occasionnels des langues d'Oïl et de l'arpitan, amoureux de la France, de la République et de nos régions, nous ne pouvons abandonner ces mots précieux au feu et s'en aller sans se retourner. La renaissance des langues d'Oïl et de l'arpitan comme langues culturelles, comme une connaissance relativement approfondie et pourquoi pas comme un mode de bilinguisme avec le français, doit pouvoir se faire. Oui, nous pouvons nous affirmer comme apprenants de ces belles langues, tel un miroir qui différencie le français de ces parlers, finalement assez proches.
C'est ainsi que les grammaires des langues d'Oïl qui existent déjà, mais qui peuvent, par le travail des universitaires êtres remises à jour ou complétées si besoin est, en tout cas ces langues peuvent faire l'objet de davantage d'études linguistiques et universitaires. Ensuite, les associations culturelles en pays d'Oïl et en pays arpitan peuvent s'approprier l'existant: la langue dans sa diversité, son caractère parfois brut, à travers de glossaires, des contes, des récits transcrits et les faire vivre auprès de la population et bien-sûr, on ne peut faire l'économie, car c'est là que passera la survie des langues d'Oïl et de l'arpitan de cours au sein de l'Education nationale.
Tout d'abord, par le biais du retour de l'initiation à la langue régionale, à raison d'une heure par semaine en CM2, comme avant 2007, mais cette fois-ci de manière obligatoire, inscrite dans le programme. Il est vrai que les langues d'Oïl ou l'arpitan n'en avaient que très rarement bénéficiés car on ignorait trop souvent la réalité de langue de ces parlers anciens, quand bien-même les grands-parents le parlaient ou le parlent encore, même occasionnellement.

A moyen terme, la République et l'Education nationale, grâce au concours de la Charte des langues régionales doit promouvoir les langues d'Oïl et l'arpitan, au même titre que le catalan ou le flamand, en créant un CAPES de langues d'Oïl et un CAPES d'arpitan avec une option facultative de Langue Vivante Régionale (LVR). Ces langues, par le biais du vieux roman, du vieux français et les écrits médiévaux et Renaissance en langues d'Oïl, ainsi que les transcriptions de contes, poèmes, pièces de théâtre,... ont tout le matériau pour remplir une LVR, il en va de même pour l'arpitan comme le montrent les travaux des chercheurs suisses et italiens.

J'ai fouè enlavenir dla d'versité enl' berrichon, mez ossy enl' françouè et enl' arpitan, dounque en la richesse dez Hoummes. Viv la République et viv la Franç!



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