A PROPOS

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dimanche, octobre 13, 2013

Québec et la laïcité, tout un programme.

Depuis le début du mois de septembre, le Québec, mais aussi par procuration le Canada, vit un débat intense sur l'instauration de la laïcité et davantage encore des modalités d'application de cette laïcité.
Le ministre des institutions démocratiques, Bernard Drainville (Parti Québécois) a présenté publiquement, alors une "Charte des valeurs québécoises". Elle devait s'intituler "Charte de la laïcité" mais il n'en a pas été ainsi. Pourquoi ce terme vague de "valeurs" qui veut tout dire et pas dire grand chose en même temps?
Peut-être en raison du refus du retrait du crucifix de l'Assemblée Nationale, placé par le Premier-Ministre de l'époque, à l'occasion de son premier gouvernement en 1936, Maurice Duplessis (Union Nationale) en raison de son alliance avec l'Eglise catholique.
Ce texte s'appuye sur plusieurs principes: la neutralité religieuse des fonctionnaires (pas de signes dits "ostensibles"), moins de souplesse pour les accommodements religieux, se faire servir par le Service public le visage découvert (pas de niqab dans ce cas-là; il ne s'agit pas d'une interdiction à proprement parler du niqab), non-neutralité religieuse des élus et permet une clause d'exception pour les municipalités (on a annoncé vendredi 11 octobre qu'elle n'existerait qu'une seule fois sur cinq ans). Il y aura aussi des exceptions pour les universités (notons qu'en France, la loi sur les signes religieux de 2004, ne concerne pas l'université).

Québec Solidaire a présenté ces derniers jours, sa version de la Charte, qu'elle a intitulée "Charte de la laïcité" qui ne demande la neutralité religieuse que pour les juges et les policiers provinciaux et le Service à visage découvert.
La CAQ, depuis le début a toujours eu cette position similaire à Québec Solidaire, mais en y rajoutant les enseignants du primaire et du secondaire, qui possèdent une autorité mais non coercitive auprès des élèves.

Ce débat est issu d'un processus commencé en 2007, par le Premier-Ministre québécois de l'époque , Jean Charest (Parti Libéral du Québec) avec la "Commission de consultation sur les accommodements reliées aux différences culturelles" dite Bouchard-Taylor du nom des deux présidents: Gérard Bouchard et Charles Taylor, puisqu'en 2006, il y avait eu une polémique sur la demande par certaines personnes juives orthodoxes d'accommodements jugés "irraisonables"  Le débat était lancé:
Est-ce que le Québec est un territoire comme les autres en Amérique du nord, qui laisse faire tout ce que le droit peut laisser faire, en ce qui concerne l'expression religieuse, donc est-ce que le Québec suit le modèle nord-américain et ainsi anglo-saxon du communautarisme?
Ou bien est-ce que la spécificité francophone et française du Québec n'a pas aussi à s'exprimer dans ce cadre-là: que le Québec a vocation à intégrer les immigrants et les différences en son sein et ce que ces personnes-là s'adaptent au mode de vie majoritaire des gens? Par mode de vie majoritaire, il faut entendre, une société davantage athéisée et agnosticisée que le reste du Canada et de l'Amérique du nord.
En effet le droit criminel, la Charte des droits et libertés canadiennes sont d'influence contractuelle britannique. L'esprit anglo-saxon fait primer la liberté sur tout, car c'est le socle et l'assurance pour la société démocratique de ne pas être brimée par quelque autoritarisme que ce soit.
L'esprit britannique et anglo-saxon est donc beaucoup plus jurisprudentiel. Tandis que le droit civil au Québec est inspiré de celui de la France (rappelons que le Code Civil français est une compilation de la tradition juridique française depuis le XII° siècle, avec un aspect jacobin-centraliste issu de la Monarchie de droit divin) et la tradition au Québec suit davantage l'appel à la Nation libre et indépendante, universelle qui assure à la fois liberté et égalité devant la loi (finalement ce que dit Rousseau dans son "Contrat social"), la preuve en est, la révolte des Patriotes était appuyée sur ce type d'idées (globalement celles des Lumières).

Et ce débat sur la Charte, finalement, continue ce questionnement. Il est tout à fait compréhensible que beaucoup de Québécois estiment que par leur localisation et l'influence environnante, ils se réclament davantage du modèle nord-américain. Après tout, cela fait 250 ans que le Québec a évolué dans ce moule et il en ressort différent de ce qu'il était avec la gestion directe de la Monarchie française (la Nouvelle-France était une province française à part entière, telle la Normandie dans la Métropole) et c'est pour cela, que le droit social n'est pas le même, qu'il existe le lock-out, alors qu'en Europe et en France cela est interdit. Après tout, le Québec vit bien ce système-là, les Québécois de fraîche date s'intègrent plutôt bien dans le Québec et le Canada. Reste le problème de la langue, mais les enfants de ces personnes seront francophones, il n'y a aucun doute là-dessus.
           On peut dire en revanche qu'il est normal que le Québec spécifie son caractère distinct car je le rappelle le droit civil français n'est pas le même que dans le reste du Canada, il est beaucoup moins jurisprudentiel et les juges et les citoyens du Québec ne veulent pas que la Cour Suprême intervienne dedans. Ce serait une remise en cause du "Quebec Act" de 1774 qui reconnaissait déjà la double culture du Québec. Or, même si ces idées-là disparaissent peu à peu, le Québec est bien une société à part en Amérique du nord, car seul Etat fédéré autonome dont la seule langue officielle est le français.
Rappelons qu'une langue, c'est aussi une culture et une mentalité qui s'expriment à travers le langage.
Il existe donc bel et bien un esprit "francophone" ou "français" (c'est-à-dire "de langue française") qui est commun au Canada français, à la Suisse romande, au Sénégal, à la Belgique wallonne, à la France,... qui se fonde sur l'universalisme, que l'égalité est aussi importante que la liberté (il y a pondération entre les deux), que les citoyens doivent connaître le même traitement et sont soumis à la même loi, aux mêmes droits et aux mêmes devoirs, quelle que soient leurs convictions, confession ou origine. Qu'ainsi le vivre ensemble demande un petit peu d'uniformisation, dans certains domaines au moins.

Ce que je trouve insupportable,conjointement à ce débat qui est légitime, ce sont les excès et les actes xénophobes que l'on a pu rencontrer. Ce n'est pas la Charte qui a provoqué cela, mais une minorité de personnes s'est crue autorisée à se laisser aller et à trouver des boucs-émissaire Quand on voit que des centres communautaires culturels indiens sont taggués, que l'on agresse verbalement une citoyenne canadienne dans le bus à Montréal parce qu'elle porte le voile, qu'on taggue et insulte des candidats aux municipales parce qu'ils ont une religion différente ou qu'ils sont anglophones (Projet Montréal notamment), force est de constater que le dégoût et l'amertume nous viennent à la bouche.
Sans parler du caractère loufoque et discriminatoire de la décision de bannir le turban sikh des terrains de football amateurs au Québec, parce qu'un enfant canadien et québécois de confession sikh et initié (qui porte le turban) voulait simplement jouer au football (soccer au Québec).
Il est insupportable de confondre laïcité et refus de la différence. La laïcité, qui est une notion qui vient de France qui s'est forgée depuis 1881 et "l'école publique, laïque et obligatoire" (les enseignant(e)s religieux ont dû soit renoncer à leur vocation religieuse pour continuer à enseigner, soit laisser la place aux maîtres et professeurs laïcs devant être neutres religieusement et bien-sûr politiquement), la loi de Séparation des Eglises et de l'Etat de 1905, initiée par le radical-socialiste Emile Combes en réaction au militantisme actif de la congrégation des Assomptionnistes et rapportée par Aristide Briand, socialiste indépendant et travaillée entr'autres par Jean Jaurès, socialiste. Cette loi prévoyait la fin du Concordat qui faisait des prêtres, pasteurs et rabbins des fonctionnaires, l'interdiction de financement des cultes par l'Etat, l'Etat qui devient laïc et qui ne doit afficher une option religieuse, mais aussi permet aux religions de s'exprimer tout comme les athées qui sont mis au même niveau. Un règlement de 1936 rappelle la loyauté des fonctionnaires à l'Etat et en 1983 la neutralité religieuse ou politique des fonctionnaires. Cette loi a été soutenue par le coeur des partis démocratiques et parlementaristes de l'époque: les socialistes, les radicaux-socialistes et les républicains modérés (centre-droite), tandis que l'extrême-droite souhaitait le lien avec l'Eglise catholique. La loi de 1905 n'interdit pas le port dans la rue d'habits ou de signes religieux, Aristide Briand disait à l'Assemblée "On ne va pas interdire la soutane!" La liberté d'apparence étant une forme de la liberté d'expression, elle est constitutionnelle.
Cependant la loi civile est bien supérieure à la loi religieuse.
C'est pour cela que les tenants d'une fausse laïcité cachant en fait l'intolérance sont à condamner et que ceux qui pensent que la laïcité est "raciste" sont à admonester, si on s'en tient à la définition stricte de la laïcité:
"Caractère des institutions, publiques ou privées, qui, selon ce principe, sont indépendantes du clergé et des Églises; impartialité, neutralité de l'État à l'égard des Églises et de toute confession religieuse." (Trésor de la Langue Française, CNRS)
"1.Caractère de ce qui est laïque, indépendant des conceptions religieuses ou partisanes.
  2.Système qui exclut les Eglises de l'exercice du pouvoir politique ou administratif, et en particulier de l'organisation de l'enseignement public." (Dictionnaire Larousse)

Libres aux Québécois de décider comme ils l'entendent. Ce choix leur appartient en propre. Je tenais simplement à apporter des précisions sur des choses fausses que j'ai vu, entendu ou lu dans ce débat et aussi m'insurger des actes xénophobes, certes minoritaires mais tellement désagréables dans ce beau pays qu'est le Canada et le Québec.

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