Réveillons-nous !
Piqûre nécessaire pour nos sociétés européennes sur
les enjeux de l'innovation
Par Thibaud Ecarot
et Pierre-Marie C.
L'union Européenne semble s'être
quelque peu endormie sur ses lauriers au sortir des années 80, l'addition des
principaux membres de ce qu'était alors la CEE formait la première puissance
économique mondiale sans contestation avec des champions industriels et
technologiques tels qu'Airbus, Alstom ou l'Agence Spatiale Européenne qui produisaient
parmi les meilleurs avions du monde, le TGV et Ariane. Aujourd'hui plus de
vingt ans après, l'Union Européenne voit parmi ses Etats, plusieurs d'entre eux
dont la France, être relativement à la traîne. Il n'y a que l'Allemagne qui
s'en sorte, mais pour combien de temps encore ?
L'Union Européenne avait amorcé
vers 2000, avec une certaine naïveté, l'utopie de la stratégie de Lisbonne, où
les services et les techniques de communication, sauraient suffire à eux seuls
à booster l'économie Européenne. C’était oublier que seule réellement
l’industrie produit massivement de la richesse qui peut être redistribuée
immédiatement. De même, on ne saurait faire l’économie d’une gouvernance de
l’Euro véritablement politique, avec une Banque Centrale Européenne pilotée par
les gouvernements et qui n’hésite pas à réagir avec ses propres moyens pour
aider les économies européennes.
On a cru pouvoir reléguer la
manutention aux pays asiatiques tandis que nous garderions les emplois de
cadres. Le constat est tel que si nous ne faisons rien d'ici 10 à 20 ans, les
puissances asiatiques nous laisseront loin derrière. Hormis ce basculement de
l'Atlantique au Pacifique dans 20 ans, nous devrons faire face à la crise
écologique gravissime qui risque d'éroder durablement la planète.
Tout d'abord qu'entend t-on par
«innovation» ? L'OCDE a donné en 2005 la définition suivante :
« La mise en œuvre d'un produit (bien ou service) ou d'un procédé nouveau
ou sensiblement amélioré, d'une nouvelle méthode de commercialisation ou d'une nouvelle
méthode organisationnelle dans les pratiques de l'entreprise, l'organisation du
lieu du travail ou les relations extérieures. »
En clair l'innovation c'est
l'invention, mais aussi une technique de vente ou la façon de gérer une
entreprise. L'innovation en Europe va s'appuyer notamment sur les nouvelles
industries et technologies du renouvelable. Ce ne sera pas bien-sûr le seul
domaine à développer, mais certainement le plus symbolique et tout autant
stratégique que les autres industries. En tant que Parti Socialiste, donc Parti
social-écologique, nous devons affirmer le respect du Développement Soutenable
(ou « Durable ») et appliquer ce tamis par lequel passent désormais
toutes les politiques. La Première Ministre norvégienne social-démocrate Gro Brundtland avait montré
l'exemple avec son rapport à l'ONU intitulé « Notre avenir à
Tous » en 1987. Ce rapport a servi de base au Sommet de la Terre de Rio
en 1992. Ce rapport a mis l’accent sur les menaces écologiques sur la Planète
et les défis à suivre pour arriver à des sociétés « soutenables ».
Nous sommes désormais face au défi palpable de
la Crise écologique qui agit déjà dans le Pacifique sud et l'Océan Indien, nous
avons atteint le pic de production du pétrole en 2006 (le « peak
oil ») et les terres arables dans le monde risquent de voir leur fertilité
diminuer sensiblement du fait d'une population potentielle de 9 milliards d'ici
2050-2060.
Et
pourtant l'Europe n'a pas su résister à Copenhague face aux Etats-Unis et la
Chine, en décembre 2010 et on ne l'a pas entendue en juin 2012 à Rio. Le
problème est que nous avons des intérêts nationaux et industriels contradictoires
avec les industriels de la Ruhr ou les firmes pétrolières européennes qui n'ont
pas compris qu'elles peuvent survivre par le biais d'une véritable mutation
industrialo-écologique. Cela, les Etats européens n'ont pas suffisamment la
volonté et la force de convaincre des secteurs traditionnels.
L'économie
que nous souhaitons respectueuse des gens et de la planète, l'économie soutenable,
pourrait suivre le scénario que préconise Jérémy Rifkin dans son ouvrage la
« Troisième Révolution Industrielle » avec cinq fondements que
l'auteur appelle « piliers » : Le passage progressif aux énergies
renouvelables ; Faire que l'immobilier soit passif en consommation et
actif en production énergétiques ; Développer la filière de l'hydrogène
pour permettre le stockage des énergies renouvelables (qui il est vrai sont
volatiles) ; se servir de l'énergie des ordinateurs pour en faire un inter-réseau
de partage ; faire aboutir les procédés de véhicules propres.
Le
trinôme énergétique (solaire, éolien, géothermique) représente véritablement
une piste sérieuse et concrétisera la transition écologique et énergétique que
nous souhaitons tous. En effet, un nouveau régime de l'énergie apparaît
nécessaire comme perspective pour le futur. A cela se couple la logique du
développement et du passage à une nouvelle génération des transports publics de
courte ou de longue distance qui puissent montrer l'exemple au niveau
environnemental et va nous forcer à repenser le commerce international non pas
atrophié mais recentré en partie sur une logique continentale.
Le coût
du transport interocéanique va devenir plus fort que les gains de productivité
par la délocalisation ou l'alterlocalisation ; ce d'autant qu'il y a un
coût carbone par l'utilisation massive de mazout par les cargos et la pollution
que cela suscite. Cette réalité fait écho avec la notion de
« continentalisation » que Jérémy Rifkin souligne dans son ouvrage
car il anticipe par-là, le fait que la Chine, d’ici 20 ans va se recentrer sur
sa zone asiatique et sur le territoire chinois au lieu d’une spécialisation
actuelle de sous-traitance pour les entreprises occidentales. Ce qui n'empêche
pas les connexions futures comme le projet de Tunnel du Béring en Sibérie et
Alaska.
L'union
Européenne dispose de programme-cadre en matière de coopération scientifique et
d'innovations industrielles depuis 1984. Ces programmes-cadres permettent de
définir des actions à réaliser durant une période de 5ans en moyenne et ont
permis d'arriver à des résultats convaincants en matière de science physique et
d'énergie « propre » avec notamment le CERN et la fameuse chasse aux
bosons de Higgs ou encore la société innovante « Blue Fuel Systems »
en Espagne qui fabrique à l'aide d'algues du pétrole artificiel. Il reste
pourtant à l'Union Européenne des grands défis à accomplir dans le numérique,
l'écologie, les énergies propres ou encore la physique mais sans réelle
collaboration, nous continuerons de prendre du retard en matière de recherche
et d'innovation. L'Union Européenne se base sur le principe de coopération mais
ce n'est pas suffisant, il faut que les entreprises et les laboratoires
Européens fournissent plus d'effort de collaboration. On ne peut plus
simplement mettre en œuvre de simple programme de coopération, elle se doit de
demander aux Etats membres une implication mutuelle et un effort de
coordination en vue de partager des objectifs commun et de construire une
démarche entre plusieurs pays. Mais comment coordonner nos actions et partager
nos connaissances au mieux quand le déploiement de la fibre optique prend
sans-cesse du retard ?
L'Europe de l'ouest a depuis le
XIXème siècle, développé une économie industrielle qui a connu un second
souffle après-Guerre en 1945, mais ces secteurs sont dans une crise relative
depuis les années 70. Force est de constater que les secteurs industriels sont
davantage soumis aux fluctuations d'une économie mondialisée et plus
financiarisée. En effet, 2 millions d'emplois industriels ont été supprimés en
France depuis 1973. Si on ajoute à cela, une erreur de stratégie européenne dans
le « tout services », on voit bien là le caractère indispensable de
l'industrie et de l'innovation dans ces secteurs afin de pouvoir affronter les
industries asiatiques ou latino-américaines. Les erreurs telles que la priorité
au secteur financier en Grande-Bretagne ou en Islande ou le
« tout-immobilier » en Espagne ou en Irlande sont là pour le prouver.
Il convient de garder un peu d'industrie de base et d'innovation à moyenne
portée pour financer l'innovation (posséder tout le process industriel y
compris dans les PME et avoir bien en tête de mettre l'innovation partout).
Nuançons tout de même car la Chine, elle-même a connu des pertes en emplois
industriels dans le grand bassin industriel du nord-est (Mandchourie) et a dû
faire face à des révoltes de chômeurs depuis 1993.
Il n'en demeure pas moins un
déséquilibre entre les pays européens, un bloc du nord autour de l'Allemagne
(Pays-Bas, Suède, Finlande...) face au reste des pays Européens qui ont plus de
difficultés structurelles dans l'industrie et l'innovation sauf peut-être
l'Italie du Nord. Ces distorsions spatiales se traduisent dans les excédents
budgétaires européens, sur 174 milliards d'euros, 134 viennent d'Allemagne et
que ce grand pays tourne autour des 2%d'investissements dans les entreprises
pour l'innovation contre 1,2 % en France.
Plusieurs facteurs expliquent ce
dissensus :
-
les entreprises qui investissent et qui
exportent sont davantage des ETI (Entreprises de tailles intermédiaires) plus
souples en Allemagne, alors qu'en France, il s'agit des grands groupes.
-
Une organisation en réseau depuis longtemps (En
France depuis 2005) : les instituts Fraunhofer en Allemagne depuis 1949,
les TNO aux Pays-Bas depuis 1932, les GTS au Danemark...
-
une faible implication de l'Union Européenne
dans ce domaine, le plan Horizon 2020 ne propose que 80 milliards d'euros sur 7
ans soit 11,4 milliards par an pour renforcer la science, le leadership en
innovation industrielle, les énergies alternatives, les transports, les
personnes âgées... ce qui représente moins de 5 % du budget européen alors
que le budget ne correspond qu'à 1 % environ du PIB de l'Union Européenne.
Plusieurs pistes peuvent
rééquilibrer ces manques continentaux ou ces déséquilibres régionaux : le
passage immédiat à 15 % du budget Européen de la stratégie Horizon 2020 et
à 2,5 % de son PIB pour la France, la création à l'image du conseil
Nordique d'un conseil Latin pour faire le poids face à l'Allemagne (France, Italie,
Espagne, Portugal, Roumanie) et enfin plus de coopération et de partenariats
entre les Etats et les entreprises européennes visant à un équilibrage de
l'aménagement de sites industriels pour favoriser un partage : ne pas
mettre des usines nouvelles qu'en Slovaquie et en Roumanie mais en mettre
également en Allemagne ou en France, ainsi qu'encourager l'investissement des
entreprises Françaises. Sans oublier que la Banque publique d'investissement
que veut le gouvernement financera en partie les projets des PME.
Les aspects écologiques et
économiques du Développement Soutenable ont été évoqués, reste l'aspect social
qui n'est pas le moins important et qui fait partie de l'innovation. C'est
pourtant un aspect assez souvent délaissé et pas mis au même niveau que celui
de la performance économique, un peu comme le critère écologique. Il s'agit,
sans être moraliste, d'une erreur commise du fait de la domination d'un mode de
pensée néolibéral, d'économie spéculative loin de l'économie réelle et qui a
prouvé son inefficacité.
Une prise de conscience est
entrain, lentement, de se produire dans les milieux professionnels, mais la
bataille culturelle se doit d'être menée à bout.
Jérémy Rifkin parle de
« capital social » et appelle de ses vœux qu'il devienne égal au
capital financier. De manière plus détaillée, nous devons favoriser dans nos
sociétés l'investissement de long terme, mais également une approche plus
qualitative des priorités et des financements de l'innovation, ainsi que la
garantie du respect de l'humain.
Cela passe par une série de
mesures administratives et financières... :
-
faire du Crédit Impôt Recherche une aide pour
les PME
-
créer un guichet unique pour les entreprises
rassemblant les aides et le conseil au sujet des règlements administratifs, de
la fiscalité, l'information sur l'actualité scientifique
-
fonder des Commissariats au Plan régionaux et un
Commissariat au Plan Européen
-
renforcer la médecine du Travail et l'Inspection
du Travail pour lutter contre les troubles Musculo-squelettiques et les
troubles psycho-sociaux.
… et de dispositifs relevant de
l'enseignement et la formation :
-
généraliser l'enseignement des mathématiques,
SVT et sciences physiques dans les filières non-scientifiques et en bac
professionnel
-
lancer des campagnes régulières médiatiques
valorisant la filière professionnelle
-
renforcer les doctorats scientifiques en y
améliorant la double formation (disciplinaire et entrepreneuriale)
-
créer une Formation Tout au Long de la Vie en
fondant une Université Professionnelle financée à 50 % par le public et
50 % par les entreprises qui pérennise les GRETA qui sont les centres de
formation pour adultes de l’Education Nationale, mais qui voient leur effectif
changer trop régulièrement. En transformant les GRETA en Université
Professionnelle, on permet à chaque salarié, chaque chômeur de se reconvertir,
de recevoir une formation fondamentale ou complémentaire. De la même manière
que les enseignants ont droit à au moins une formation au Plan Académique de
Formation, on peut penser qu’il en irait de même pour les salariés.
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